80 : mare nostrum, musica nostra

Shofars, trompettes, trompes, cornets, busine, sacqueboute, chalémie, bombarde, flûtes, launeddas, cornemuse.
viole, vièle, vielle, rebab, lyre à archet, kamantcha.
harpe, oud, luth, qanûn, psaltérion, tympanon, cithare.
tambours, cloches, darbouka, deff, cymbales, grelots.

Ces nombreux instruments antiques et médiévaux du pourtour méditerranéen ont tous été joués lors de ce passionnant concert à la Cité de la Musique.
(voir description et photos de la plupart de ces instruments sur le site instrumentsmedievaux, très complet et très intéressant de par ses multiples liens)

Le thème de ce concert était la ville sainte des trois religions (Yerushalayim / Jérusalem / Al Qods), "ville des deux paix" (céleste et terrestre).
Concert chronologique en plusieurs parties, nous proposant des musiques juives, chrétiennes et musulmanes de l'antiquité au XXème siècle.

Et nous avons pu écouter des choses aussi originales que des chants araméennes et des psaumes hébraïques, des textes grecs, des psalmodies soufies, des cantiques latins, francs ou hispaniques, des légendes ottomanes, des complaintes séfarades, des lamentations arméniennes, etc.

Les langues (hébreux, araméen, grec, latin, arabe, castillan, langue d'oc, ladino, arménien, turc) se croisaient et se répondaient pour traduire les même pleurs, les même craintes, les mêmes espoirs d'hommes qui continuent de s'entre-déchirer alors que la musique peut si facilement les réunir dans une même communion.

La plupart de ces musiques sont peu connues en dehors des initiés, sinon peut-être les quelques Cantigas de Santa Maria écrite au XII ème siècle par le roi Alphonse X le Sage et dont il existe plusieurs versions au disque.

Et toute ces musiques sont étrangement belles.

Etranges par leur écriture (encore que beaucoup de ces musiques nous sont parvenues par tradition orale) : toutes utilisent les modes (tonalités) antiques qui ont disparus de notre pratique musicale occidentale depuis plusieurs siècles.

Etranges par leurs instruments tel le psaltérion, instrument emblématique d'accompagnement des psaumes, connu depuis la plus haute antiquité et souvent représenté sur les chapiteaux ou les fresques romanes. Il a connu de multiples évolutions au cours des siècles et suivant les régions. Ce soir il y en avait de plusieurs type : psaltérion proprement dit, caisse de résonnance trapézoïdale posée sur les genoux, tendus de cordes que l'on pince avec un plectre ; tympanon plus petit, à cordes métalliques frappées avec deux stylets ; ganûn de grande taille posé sur trépied et joué avec les doigts.

[psalterion (photo O. Feraud)]

Etranges par certaines techniques de jeu telle l'impressionnante "respiration circulaire" qui permet à un joueur de triple chalumeau (launeddas) de jouer en continu pendant une dizaine de minutes sans avoir besoin de "reprendre" sa respiration, tandis qu'un derviche tourneur ... tournait !

Etranges par les techniques de chant si différentes d'une région à l'autre, mélopée talmudique, psalmodie coranique, faux bourdon occidental, voix de tête, voix de gorge, voix de nez, solitaire ou en groupe, a capella ou avec accompagnement instrumental : les chanteurs réunis ce soir étaient tous habités par leur musique.

Belles par ce qu'elle nous disent, les larmes de la mort, l'espoir de la paix, le bonheur de la vie.

Belles aussi par la qualité des interprètes, instrumentistes et chanteurs de nationalités diverses, tous spécialistes dans leur domaine respectif, tous réunis par Jordi Savall, l'un des musiciens remarquables de notre époque, dont je vous reparlerai peut-être un jour.

[jordi savall]

Et pour vous mettre dans l'ambiance, un instrumental anonyme séfarade :

free music



PS hors de propos :
Harmonia Mundi vient de rééditer les beaux Lutes Songs de Purcell, enregistrés par l'exceptionnel Alfred Deller quelques mois avant sa mort prématurée. Réentendre à nouveau cette voix unique, débarrassée des crépitements et soufflements de nos vieux 33t, nous permet de retrouver l'émotion qui était la nôtre lorsque nous avions la chance d'aller à ses concerts ... et c'est rien que de le dire !



10 commentaires:

Anonyme a dit…

Mon Dieu, mais pourquoi ai-je rater ce concert???? C'est trop injuste

Est-ce que la petite harpe qui est à Saint Eloi est un psalterion ?

est-ce que Jordi Savall va partir en tournée avec sa clique monothéiste?

Toute info est la bienvenue :)

Anonyme a dit…

Ça me fait penser à une question qu'on s'est posée, dimanche, avec Julien : on écoutait France Musique (!) dans la voiture, et on a eu droit à un florilège de chansons françaises de l'entre deux guerres. Amusés (et, à la fin, un peu saoûlés) par les voix nasillardes et haut perchées des interprètes féminines, on n'a pas réussi à tomber d'accord : pour moi, il ne s'agit que d'un effet de mode (tout comme la façon de parler grandiloquente et ridicule des hommes politiques des années 50), alors que pour Julien il est aujourd'hui impossible de chanter comme dans les années 30, parce qu'en 80 ans, les cordes vocales humaines ont muté :)

Enfin bref, tout ça pour dire que ça m'aurait intéressée, moi aussi, ce concert !

Anonyme a dit…

à lire d'une voix nasillarde :
« C'est un jardinier qui boîte, qui boîte, qui boîte et qui boit »

roch a dit…

=>Ju :
difficile de prévoir à l'avance la qualité des concerts que nous avons réservés !
Et le précédent concert de Jordi Savall nous avait un peu laissé sur notre faim, en particulier parceque, hélas, Monserrat Figueras, merveilleuse chanteuse de ces musiques a complètement perdu avec l'âge le beau et singulier timbre de voix qu'elle avait il y a quelques années ...
Si tu cliques sur le lien "Jordi Savall" puis sur "agenda" tu trouveras la liste des nombreux concerts qu'il donne les mois prochains.
Il y en a plusieurs en Espagne dont le 19/6 musique séfarade à Tolède (on aimerait y être!). Malheureusement le programme "Jérusalem" n'est redonné qu'à ... Jérusalem !

Quant à la petite "harpe" de St Eloi, c'est une cithare du XIX°s, instrument effectivement de la descendance du psaltérion.

roch a dit…

=> Clo:
c'est amusant vos interprétations des voix nasillardes de l'entre-deux guerre. Pour moi je pensais que c'était lié a l'enregistrement de l'époque dont la technique était encore un peu primitive et gommait les fréquences extrêmes !
Les trois explications se mêlent probablement ?
Mais si tu demandes à un étranger d'imiter l'accent français, il parlera immédiatement de façon nasillarde et "pointue" c'est la caractéristique de notre langue !!!

Jean et Mathilde a dit…

Il faudrait sans doute que ces concerts soient systématiquement enregistrés, car on peut toujours rêver pour que tous ces interprètes viennent sous les cieux dubaïotes... Vivement notre retour en France! J'ai le sentiment d'avoir perdu quelques années...
Sais-tu si parmi les pièces que vous avez entendues, certaines ont été enregistrées et éditées en CD?

roch a dit…

=> J & M
CD sous la direction de J.Savall, hautement recommandables :
- Francisco Javier / la route de l'Orient
- Cristophorus Colombus / paradis perdus
- Du temps et de l'instant (malgré quelques pièces improvisées d'un goût douteux ... à mon goût)
- Lux Femine
- Orient Occident
tous publiés chez Alia Vox.

Sont aussi recommandables tous les enregistrements de musique espagnole et catalane publiés sous la direction du même Savall depuis 30 ans !

Anonyme a dit…

tu me remplis toujours d'admiration, j'aurais pu t'écrire shofar et "Yéroushalaim" en hébreu, et j'imagine que c 'est dans un shofar que Josué soufflait, tandis que lui et ses accolytes tournaient autour de Jéricho. Ne renions pas nos origines maranes, par les Céspédès de Séville !!!!

roch a dit…

=> mman
le shofar est bel et bien la trompette de Jericho !
Le final du concert était d'ailleurs une puissante explosion de sons produits par un ensemble de shofars et de trompes, un bruit terrible qui aurait bien pu faire s'écrouler les murs de la cité de la musique si ils avaient été en briques crues et si les instrumentistes avaient été quelques centaines !

Anonyme a dit…

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