14 : tempêtes

Il y a quinze jours, notre concert mensuel à la téci d'la zicmu. En avant première, c'était pas saucisson-beurre mais croque-poilâne parcequ'il ne faisait pas très chaud !

Première partie, deux œuvres d'Hugues Dufourt écrites dans les années 70 (de la musique ancienne !)
"La tempesta" est censée illustrer le tableau homonyme de Giorgione :



Musique "minimaliste" quoique je ne crois pas que Dufourt se revendique de cette étiquette. L'effectif est réduit, une dizaine d'instruments à vent, + orgue et guitare électriques, ondes Martenot et vibraphone.
Musique calme, éthérée, avec des timbres très étranges notamment ceux produits par deux instruments méconnus et incroyables : la flûte contrebasse et la clarinette contrebasse.
La flute contrebasse ? Vous voyez une flûte, cet instrument fin, raide et droit que l'instrumentiste vouvoie du bout des lèvres ? Imaginez-la 10 fois plus grosse, longue et lourde (waôôô ...), mais pliée et recourbée pour permettre au musicien de l'appuyer au sol quand il en joue. Un son à la fois puissant, profond et doux, qui fait penser à une corne de brume, ou une sirène de cargo d'une tonalité grave et très lointaine.
La clarinette contrebasse ? Vous connaissez la clarinette et son timbre boisé, que l'instrumentiste tutoie du bout de la langue ? Et bien c'est la même, en 10 fois plus grosse elle aussi, et, elle aussi, repliée et posée à terre. Sa sonorité est incroyable et difficile à décrire. Pour les très vieux qui ont connu les microsillons (qu'on appelle vinyles maintenant), imaginez qu'une clarinette "normale" enregistrée sur un 45 tours tourne à 33 tours : les sons deviennent extrèmement graves et les basses fréquences claquent comme une voile fasseye au vent.
Donc une pièce aux tonalités intéressantes, un peu longuette ... qui n'évoque en rien une tempête ou alors c'est le calme qui la précède (ou la désolation qui la suit ?) ce qui, en y regardant bien, est tout à fait le sujet de Giorgione !

"Down to a sunless sea" est une pièce pour orchestre à cordes (32 instruments, violons, altos, violoncelles et contrebasses). Désolé de ne pouvoir rien en dire : la formation "orchestre à cordes", traditionnelle depuis des siècles, m'a toujours profondément ennuyé, quelqu'en soit le compositeur, de Haydn à ce Dufourt-là en passant par Dvoràk, Schoenberg ou Stravinski.

Après l'entracte, attention, ça déménage ! : "Atlantis" de Peter Eötvös.
Ce compositeur et (excellent) chef d'orchestre hongrois de 62 ans est très souvent à Paris.
S'il n'a pas toujours écrit des œuvres géniales (notamment quand elles laissent trop de place à l'improvisation), sa production est toujours intéressante et il a toujours su garder dans sa musique une touche ludique à l'instar de son immortel compatriote Ligetti, ce qui tranche avec beaucoup de ses contemporains parfois un rien trop sérieux. "Trois sœurs" d'après Tchékov est un opéra superbe.
Donc : "Atlantis" créé en 1995. Rien que l'installation des instruments pendant l'entracte est un spectacle ! Un grand orchestre d'une quatrevingtdixaine de musiciens dont surtout 8 percussionnistes : 4 au premier rang de l'orchestre, les 4 autres placés dans les tribunes aux 4 coins de la salle. Et un cymbalum qui trône au fond et au centre encadré par deux chanteurs : un baryton et un enfant.
Chaque percussionniste est entouré d'une vingtaine d'instruments :
métallophones : vibraphones, cloches, triangles, gongs, cymbales, etc
xylophones : xylophone, marimba, castagnettes, woodblocks, etc
membranophones : timbales, caisses, tam-tam, bongos, djembés, etc
bizarrophones : plaques de polystyrène, planches de contreplaqué et autres drôlesdetrucophones.
le tout soutenu par une électronique discrète et efficace.
Il n'y a plus qu'à jouer ... et c'est une œuvre magistrale qui va se développer devant nos yeux et autour de nos oreilles, dirigée par l'impeccable Eötvös lui-même : tourbillons, labyrinthes de sons, violente tempête, tonnerre grondant et tournoyant, éclairs aveuglants, foudre à la frappe destructrice, tremblements de terre, éruption volcanique : une énergie tellurique qui nous secoue violemment.
Ce déchaînement acoustique est parfois interrompu ou accompagné de façon incongrue par une petite mélopée qu'on pourrait qualifier de "klezmer-jamaïcaine": quelques violons yiddish genre Rabi Jacob (à moins qu'ils ne soient tsiganes ?) accompagnés de 3 steel-drums ! Mais ça, c'est le côté "je me marre" du sympathique Eötvös !
Une œuvre enthousiasmante qu'on avait déjà entendue au disque.
Au disque ? C'est un peu comme regarder une reproduction en noir et blanc d'un Matisse ou d'un Derain : c'est toujours beau mais il y manque comme qui dirait un petit quelque chose !!!


[danseuse, André Derain]

Un dernier mot : l'un des percussionniste est une petite asiatique fabuleuse. Bondissante et virevoltante, elle heurte, frotte, secoue, cogne, caresse, agite, frappe ses énormes et multiples instruments avec lesquels elle est en parfaite symbiose, ne quittant pas le chef des yeux, manifestement habitée et passionnée par sa partition.
Et quel sourire de bonheur a éclairé son visage quand la salle s'est à son tour déchaînée en applaudissements !
Elle s'appelle Akino Kamiya. Etait-ce elle qui jouait avec une passion communicative l'une des parties de marimba du "St François d'Assise" de Messiaen que nous avions vu il y a quelques années à la Bastille ?

Il faut rendre hommage à quelques interprètes inconnus mais remarquables comme celle-ci : ils nous font comprendre que la musique ne se résume pas à de la technique et du sentiment (... alisme) et que l'écouter, parfois, ne suffit pas ...

[En surfant je suis tombé sur ce blog (le regard de james)
où vous trouverez des photos prises pendant les répétitions de cette œuvre.
(dont celles d'Akino et des instruments sus-cités)
Il en a de la chance, James !]

13 commentaires:

Anonyme a dit…

tu m'écrases de ta science, mais Mamita était une adepte des ondes Martenot

Anonyme a dit…

La flûte contrebasse, ce ne serait pas tout simplement un "didjéridou", instrument australien très prisés des jeunes baba ?

Merci de partager tes expériences de concert, ÇA ME MANQUE!! Et le piano aussi. Dans la cour où j'habite, j'entends un mystérieux et très doué pianiste du samedi matin, qui me donne terriblement envie de pianoter moi aussi

M'enfin, on peut pas tout avoir, et la vie est encore longue

Sur ce, je me replonge dans mes fiches terminogogiques, sur fond de Debussy

roch a dit…

Je cherche juste à faire partager des émotions ou à titiller la curiosité des lecteurs, je ne cherche à écraser personne et j'espère que ce n'est pas comme ça qu'est compris mon blog !

Ju : le son du didjeridou est effectivement assez semblable à celui de la flute contrebasse.
Tu veux que je t'apporte ton piano quand j'irais à Toulouse ?!!
Je ne me suis pas encore renseigné sur les eventuels concerts à Toulouse début avril ...

roch a dit…

La première fois que j'ai entendu des Ondes Martenot, c'était effectivement avec Mamita à une audition chez Mlle ??? ma prof de piano : je n'avais même pas 10 ans mais j'en garde un souvenir extrèmement précis !!

Anonyme a dit…

mademoiselle Guébel...et l'audition en question était chez madame Inchauspé (orthographe?) dont Mamita ne cessait de dire que son nom était basque: impossible de savoir alors si c'était une tarte ou un compliment.
Vu au "musée" de Dubaî les instruments traditionnels des nomades de l'Arabie "heureuse": étonnant comme on retrouve la même facture: corde, vents... mais combien l'oreille est formatée à l'occidentale (enfin le mienne)... Marius me demande dans la voiture de la musique "de grande personne": tombé au hasard sur du Nino Rota: il a adiré!

Anonyme a dit…

me suis même pas relu: tare, la, adoré

Anonyme a dit…

nino rota ...
les films de fellini auraient-ils été aussi géniaux sans nino rota pour les accompagner ?

Anonyme a dit…

D'accord avec Roch : Fellini sans Nino Rota, ce n'est plus du Fellini !
Pour mémoire : J'ai présenté pour la première fois les ondes Martenot au public et à la presse, vers 193...
Vu mes talents, ça ne devait pas être de la tarte !

Anonyme a dit…

A propos : je viens d'acheter le DVD de la Strada.

Anonyme a dit…

Sais-tu que le plus extraordinaire musée des intruments de musique se trouve en Norvège ?
dans une vieille ferme allemande, en haut d'une colline.
Avec une présentation et un rafinement hors pair.
Voilà un objectif pour votre prochain voyage...

roch a dit…

gpâ-> dommage que ta prestation aux ondes martenot n'ait pas été enregistrée pour la postérité !

Anonyme a dit…

J'ai entendu la percussionniste Akino Kamiya hier, lors d'un superbe concert de l'ensemble Itinéraire: elle a un jeu magnifique et une présence extraordinaire!
Vive les ondes

roch a dit…

merci pour cette confirmation cher anonyme, je ne m'étais pas trompé !