69 : mystère de la grâce en twingo rouge

C'était il y a bien longtemps, en voiture à Paris du côté du Marais, un soir d'hiver.
Embouteillages, pluie fine, circulation bruyante. J'allais à une réunion professionnelle sans aucun enthousiasme. Faire des réunions le soir au centre de Paris, faut être vraiment taré !
En "bruit de fond" l'autoradio joue du piano. Je tourne en rond, assez énervé, cherchant une place pour me garer. Quand, brusquement, ma conscience s'éveille au bruit de fond pianistique.
Ce que j'écoute est inhabituel, j'ai l'impression de quelque chose qui ne m'est pas inconnu quoique je suis bien certain de n'avoir jamais entendu ça.
Je me calme. J'étais déjà en retard mais je finis enfin par trouver une place plus ou moins légale pour me garer.
Je coupe le moteur mais suis bien incapable de sortir de la voiture : la musique m'a enchaîné, elle prend toute la place, elle est d'une beauté que j'ai rarement ressentie. Au bout de plusieurs minutes d'écoute je suis prêt à parier qu'il s'agit de Messiaen que je connais encore très mal mais dont il me semble reconnaître la texture, le rythme, le timbre qui sont inimitables. Certaines mesures me rappellent son "catalogue d'oiseaux" mais là, c'est différent, il transparaît dans cette œuvre une dimension mystique, une beauté surnaturelle, une profondeur d'émotion à la fois subtile et brutale qui me met dans un état second.
Plusieurs parties se succèdent ainsi, je suis complètement subjugué, hors du monde et du temps.
Ce n'est qu'une demi heure plus tard que cette merveille s'arrête, me tirant d'un état d'obnubilation et d'hypersensibilité extrème. J'aurais voulu que ça ne s'arrête jamais.
C'était bien Messiaen. C'était les "Vingt regards sur l'enfant Jésus".
Quel titre cul-béni pour une œuvre aussi transcendantale !

On sait que toute l'œuvre d'Olivier Messiaen est imprégnée de sa foi catholique profonde, mais il n'est en rien nécessaire d'adhérer à ses croyances pour que sa musique nous emporte bien loin de ce monde, pour en ressentir tout le mystère sacré : on peut être touché par la grâce dans les embouteillages, sous la pluie, un soir d'hiver !

Quelques années plus tard, Roger Muraro jouait ces "Vingt regards" un soir à La Roque d'Anthéron. Quelques heures de musique sous le ciel étoilé, et la même impression d'une expérience sidérale et sidérante. [un extrait ci-dessous].



Il y a quelques jours nous étions au concert pour écouter " Des canyons aux étoiles" du même compositeur. Une heure et demi de musique d'une puissance extraordinaire, des alliages de timbres stupéfiants, une rythmique hallucinante, des stridences explosives, des résonances pianistiques irréelles dans le silence de la salle.
Et au centre de cette œuvre, un long solo de cor d'une beauté qui serrait le cœur ... alors que j'avais jusqu'à présent trouvé la sonorité de cet instrument plutôt grotesque !

La musique de Messiaen est un phénomène unique, surgi de nulle part pour atteindre d'emblée le sublime, l'inébranlable sérénité de celui qui n'a aucun doute sur le sens de la vie ...
Elle fait de Messiaen le seul compositeur vraiment exceptionnel de toute l'histoire de la musique.
Beaucoup n'arrivent pas à pénétrer cet univers et on peut les comprendre ...


14 commentaires:

Anonyme a dit…

la grâce, qu'elle quelle soit, frappe où elle veut, même un soir de février pluvieux, dans les embouteillages en twingo rouge !

Anonyme a dit…

Chic, un nouvel épisode de ton histoire musicale!!!!

J'ai écouté cette semaine sur France culture un entretien avec Regis Campos, compositeur contemporain qui a l'air très différent de ce que vous écoutez habituellement. Le connais-tu? Qu'en penses-tu?

Anonyme a dit…

A la lecture du titre j'ai cru que Roch allait parler de moi!! la grâce dans une twingo rouge ...mais non il ne s'agissait que de musique!...je m'incline devant le génie de Messiaen qui mérite bien une petite déception.

Anonyme a dit…

Moi aussi, à la lecture de ce titre prometteur, je m'attendais à un portrait de Catherine voire même d'Ines, toutes deux élégantes conductrices de Twingo rouge...
Le contenu reste cependant à la hauteur de la promesse du titre. J'ai relu le dossier du Monde de la musique sur Messiaen avec interet. Ne connaissant pas son oeuvre, par ou commencer, quand on a les oreilles peu habituées à la musique contemporaine?
A moins que l'on me conseille un autre compositeur si Messiaen est trop ardu!

Anonyme a dit…

dernier mesage de ton blog : alors chapeau quel classe ! dommage que je ne suis pas encore mur pour cette musique / ou par manque de sensibilité-intellectuel ?
je ferais lire l'article demain a ma mere ( qui tombera encore une fois
amoureux ( platonique ! ) et en adoration !
ciao

roch a dit…

réponse à ju :
tu m'aurais posé la question il y a 15 jours, j'aurais répondu que je ne connaissais pas Régis Campo (et non campos), mais il se trouve qu'il y a quelques jours Cath a emprunté "pour voir" un de ses disques à la discothèque !
Il fait partie de ce que j'appelle la 3ème génération des contemporains de l'après guerre (de 39/45).
En France la 1ère c'est ceux qui ont l'âge de tes grands parents, Boulez ou Dutilleux par exemple.
la 2ème, plus ou moins mon âge, c'est Dusapin ou Grisey.
la 3ème a commencé à composer dans les années 80/90, Escaich ou Mantovani.
Très chématiquement on peut dire que la musique de ces derniers renoue avec un certain "classicisme" après les "excès" des générations précédentes. Souvent séduisante et agréable à écouter elle manque parfois un peu de piment et de surprises, en tout cas ne m'a, pour l'instant, pas apporté de "choc esthétique".Mais ne généralisons pas je n'en connais pas assez !

roch a dit…

réponse à 1001 nuits :
pour aborder Messiaen, commencer par le piano. Les préludes d'abord et après, si ça t'a plu, ces 20 regards, plus difficiles.
Ou des pièces de son "catalogue d'oiseaux" mais pas toutes à la file, c'est indigeste !
Sa musique pour orchestre c'est infiniment plus difficile ...
Quant à ses très nombreuses pièces pour orgue, je n'y arrive pas encore mais je n'ai pas une grande passion pour cet instrument.
J'ai découvert Messiaen il y a 15 ans (?) en allant écouter "trois petites liturgies de la présence divine" à la cathédrale d'Evry.
Un "choc esthétique" dont je ne suis pas encore remis ! Et le même Messiaen m'en a procuré bien d'autres ...

roch a dit…

réponse à Philippe :
merci, j'en rougi de plaisir !

réponse à Cath :
désolé de t'avoir déçu : me pardonneras-tu un jour ?

roch a dit…

à tous :
aurais-je réussi à éveiller chez certains d'entre vous un certain intérêt ? aurais-je donc eu raison de faire ce blog ?
Je suis en train de réfléchir à faire un CD d'extraits "auditivement abordable" de compositeurs dont j'ai parlé au cours de ces crochnotes.
Si ça vous intéresse, je vous tiendrai au courant quand ce sera au point mais ça demande du temps !

Anonyme a dit…

mais c'était pour rire !! et puis maintenant que tu te lances dans l'édition musicale je suis pleine d'admiration!

Anonyme a dit…

Ah oui, moi ça m'intéresse :)
Le texte de cette note est vraiment très beau !

Anonyme a dit…

...au fait... ta réunion ?

Anonyme a dit…

Voilà qui devrait intéresser la classe, professeur:
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/miniatures/fiche.php?diffusion_id=59046&pg=avenir

Cette semaine sur France culture, tous les soirs à 20h45, hommage à Messian, avec entretiens etc. Si vous avez ratez lundi, vous pouvez réécouter ça sur le site

Allez, j'y retourne!

Juliette

roch a dit…

oui au fait cette année on fête le centenaire de la naissance de Messiaen : c'est le moment de s'y mettre !!!!