15 : mélanie

15 ans, brune, pas très grande, 115 kg ...
Renversée par une voiture, elle est hospitalisée avec une fracture de jambe un jour où je suis de garde.
Les jours suivant l'opération, je rencontre sa mère et met l'accent sur la gravité de l'obésité de sa fille (en novlang : surpoids). La mère (qui est un peu enveloppée sans plus) acquiesce mais elle me donne l'impression de n'avoir pas capté le message.
J'en touche un mot à Mélanie : cet accident qui va l'immobiliser un certain temps ne serait-il pas l'occasion de s'occuper de ce problème ? Elle me répond à peine et paraît beaucoup plus préoccupée par sa jambe que par le reste. On le serait à moins.

Revue en consultation quelques semaines plus tard, j'interroge la mère pour savoir si elle a suivi mes conseils mais j'ai cette fois très nettement l'impression de m'adresser à un légume ...
C'est alors que Mélanie intervient : avec des larmes dans les yeux, elle me raconte le drame qu'est pour elle son obésité, mais que, ne sachant comment en sortir, elle avait fini par baisser les bras et accepter son état comme une fatalité.
Elle a réfléchi à ce que je lui avais dit, et maintenant que sa jambe va mieux elle a décidé de prendre du temps pour trouver une solution.
Je parle longuement avec elle. Elle s'en va avec une lettre d'introduction pour une consultation de diététique. Sa mère restera complètement absente de la conversation.
Puis je la perds de vue quelques mois.

Quand je la revois, sa mère est toujours là, inutile potiche (y-a-t'il un père ?) et je m'adresse directement à Mélanie.
Elle me raconte que, très déçue par la consultation de diététique qui ne lui proposait qu'un régime banal qu'elle avait déjà vaguement suivi cent fois, elle s'était renseignée à droite et à gauche, avait passé beaucoup de temps à consulter en différents endroits, parfois jusqu'à l'autre bout de Paris, et avait fini par trouver une institution prenant en charge les jeunes obèses pathologiques en hospitalisation complète tout en assurant un suivi éducatif.
Précisons qu'elle a effectué toutes ces démarches seule sans aucune aide de qui que ce soit, avec ses deux béquilles et ses nombreux kilos, sa fracture étant encore loin d'être suffisamment solide pour supporter son poids.
Je suis impressionné par l'énergie et la volonté de cette "gamine" qui m'avait paru au départ si peu éveillée (par simple racisme anti-gros je l'admets, peut être aussi au vu de sa mère).

Je viens de la revoir récemment, un an après son accident.
Elle a un sourire qui fait chaud au cœur. Elle a déjà perdu une dizaine de kg, pourvu que ça continue.
Sa fracture est maintenant consolidée et elle a lâché ses béquilles. Je lui donne rendez-vous dans 4 mois.

Mais il y a chez cette jeune fille quelque chose de plus surprenant encore que sa lucidité et son courage : sa parfaite maîtrise de la langue française qu'elle manie de façon presque châtiée.
C'est tout à fait incongru chez un jeune des cités et ça la rend d'autant plus touchante ...

Allez, Mélanie, tu vas y arriver !