62 : rituel

J'avais jusqu'à maintenant tenu Boulez pour un compositeur perfectionniste, plus soucieux de la beauté des timbres, de la rigueur du rythme, de la géométrie de l'espace, de l'architecture de la pensée que de la transmission et du partage de simples sentiments humains.
Je le classais dans le même tiroir que Schumann : beau, parfois très beau, mais froid, souvent très froid ...

Le "Rituel in memoriam Bruno Maderna" qu'il a écrit après la mort de ce compositeur en 1973, m'apporte un cinglant démenti : Boulez a du cœur !

Cette simple et douloureuse mélopée régulièrement répétée par plusieurs groupes d'instrumentistes dispersés dans la salle, toujours la même mais toujours différente, accompagnée de percussions minimalistes sèches ou scintillantes, ces courtes phrases incantatoires ponctuées de la chaude et douce pulsation ou de la résonance assourdie de différents gongs, ces 7 cors à la respiration puissante, font surgir dans le corps de l'auditeur une tension lancinante progressive et dans son âme une mélancolie sereine devenant intense tristesse dans les dernières mesures de cette œuvre hypnotisante.

Maderna était parmi nous. Il n'était pas seul hélas : l'avaient rejoint ces grands compositeurs disparus ces dernières années, Berio, Xenakis, Ligeti, Stockhausen, cette fabuleuse génération d'immenses musiciens dont Boulez et Dutilleux (présent ce soir dans la salle) sont les derniers représentants.
Planaient aussi l'ombre mystique de Messiaen et les réminiscences religieuses du Curlew River de Britten.
Ce rituel bouleversant aurait dû conclure la soirée : comment après cela prêter attention à ce qui a suivi ? On avait besoin de silence et de méditation ...

Voir Boulez diriger ses œuvre est un autre plaisir. On était bien situés hier puisque le pupitre du chef était au centre de la salle, nous étions au 1er balcon légèrement en avant de lui. Il ne dirige pas : il sculpte le son en temps réel, chaque mouvement de ses mains et de ses doigts fait surgir la musique du néant ...

[Et pendant ce temps ¡ mexicolor ! (cliquez ici !) continue de tracer sa route !]

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Moi qui écoute la musique sans aucun intellectualisme (autre manière de dire moi qui suis un peu bête!)je dois dire que j'avais les larmes aux yeux à la fin du "rituel pour Maderna"!!

Anonyme a dit…

Ça donne envie d'écouter ça !

Anonyme a dit…

Non seulement écouter, mais voir Boulez diriger...
Merci pour cet instant de grace, au milieu de nos valises...