53 : nécessaire perfection

Retour au concert après trois mois de musique en conserve. Ça fait du bien de reprendre contact avec la musique vivante et avec nos "copains" de l'Ensemble Inter Contemporain (EIC) !

Le concert démarre avec "Melodien" de György Ligeti.
La mort de ce formidable compositeur en juin 2006 à 83 ans a été une grande perte, il avait encore plein de projets et tant de choses à nous dire : je n'ai peut-être pas fini de vous en parler !
Cette pièce ressemble à une miniature de ses grandes œuvres orchestrales : elle est courte et l'orchestre réduit. Succession de petites vagues se brisant puis s'épuisant progressivement sur la grève. Les passages pianissimo m'ont paru plus intéressants que les fortissimo. Il y a vers la fin un duo entre l'extrême basse d'une contrebasse et l'extrême aigu d'une flûte piccolo assez génial.
La discrète frustration que j'ai ressentie pouvait-elle être mise sur le compte d'un EIC en petite forme ? La suite me donna tort !

Pierre Jodlowski est un compositeur de 35 ans que je ne connaissais pas du tout et qui nous proposait ce soir une création. "Drones" démarre par une attaque d'une dynamique incroyable qui me rassure tout de suite sur l'état de l'orchestre !
Suite d'éclats très hachés, tranchants, d'une grande énergie, cette musique est taillée pour Susanna Mälkki qui peut donner ici toute la mesure de son talent de chef. L'orchestration mêle habilement humour à la Ligeti et jazzy à la Bernstein, mais ces références trop réductrices ne sauraient traduire la grande originalité de cette composition. La seule critique qu'on pourrait faire à l'auteur est de donner l'impression qu'il a pris tellement de plaisir à écrire cette pièce (et nous à l'écouter) qu'il n'arrive plus à s'arrêter !

La pièce suivante, "Chains of Camenæ" est du finlandais Veli-Matti Puumala, né en 1965.
Sur un fond de lointains battements de forge on retrouve des influences multiples : mélodies de violons-flûtes comme chez Ligeti, glissando de cordes comme chez Xenakis, on croît reconnaître quelques accords de Bruckner, des réminiscences de Mahler, une pinçée de Rimsky-Korsakov, un fond de Sibelius.
Tout cela manque un peu de personnalité et surtout beaucoup de signification. A moins que je n'ai rien compris, et ce ne sont pas les explications fournies par l'auteur dans le livret qui ont pu éclairer ma lanterne.
Ne soyons pas trop critiques cependant : cette pâte inhomogène et pas très bien cuite se laisse écouter sans déplaisir. C'est, à mon goût, le cas de la plupart des musiques "nordiques" actuelles (Finlande et États Baltes).
Cette pièce finlandaise a eu aussi la malchance d'être suivie par un vrai grand chef d'œuvre, et la comparaison n'en est que plus cruelle ...

J'avais déjà qualifié d'immense Gérard Grisey (1946-1998) à propos du spectralisme. Confirmation éclatante avec "Le temps et l'écume" créée en 1989. Une œuvre magistrale qui débute par un silence remarquable d'où naît un simple son d'une extrême ténuité, puis, très progressivement émerge une sourde pulsation quasi organique qui va prendre insensiblement de plus en plus d'ampleur. La beauté des timbres ("inouïs !"), les résonances impressionnantes contrastant avec de sèches matités, le travail fondamental sur les percussions, les vibrations des masses sonores, tout est remarquable et remarquablement interprété.
L'ensemble est calme, le temps semble s'étirer, évoquant la respiration puissante d'un grand animal marin, fabuleux et bienveillant, qui après s'être approché de nous, suscitant notre incrédulité puis notre émerveillement, s'éloigne pour disparaître peu à peu.

Quelques œuvres me sont devenues aussi nécessaires que l'air de la campagne. Elles sont peu nombreuses.
"Les espaces acoustiques" de Grisey en fait partie, au même titre que "La passion selon Saint Mathieu" de Bach, la sonate "Hammerklavier" de Beethoven et les "Noces" de Stravinski.
Même si elle ne sont pas forcément les plus belles que je connaisse, même si leurs auteurs ne sont pas forcément mes préférés, j'ai besoin de les écouter à intervalle régulier tant elles me fascinent par leur perfection.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

En résumé ce fut un fort beau concert avec en prime la présence à nos côtés de Juliette qui semblait au départ un peu effrayée d'entendre un concerto de plus pour "portes qui grincent"(vocable retenu par nos enfants pour décrire la musique contemporaine)et qui fut apparement elle aussi séduitte par ce que nous écoutâmes ce soir là! (ouf!)

Anonyme a dit…

séduite (faute de frappe!)

Anonyme a dit…

Oui bah s'il faut habiter Toulouse pour se voir invitée à vous accompagner à vos concerts, je vais faire mes valises !
Sans rire, si je venais avec vous une prochaine fois, je me sentirais peut-être moins con à lire les compte-rendus de Papa :D
Parce que là, c'est quand même 'achement plus dur de rebondir là dessus que sur les jolis galets de la note précédente !

Anonyme a dit…

j'ai pas assez bu ce soir pour lire le topo: excuse!

Anonyme a dit…

C'est amusant de lire tes impressions d'un concert auquel j'ai assisté : je n'ai pas du tout eu les mêmes images mentales que toi.

Le Ligeti du début débute par un crissement de RER entrant de mauvaise grâce en gare… mais c’est peut-être l’influence néfaste de ma semaine de banlieusarde, 10 heures de RER dans les pattes avant d’échouer à la Cité de la Zicmu…Ensuite, une impression de frustration, que me laisse souvent la musique contemporaine, comme si j’assistais à une torture des instrumentistes, condamnés à ne jouer que 3 accords par minute pour la beauté de l’ensemble… J’arrive à m’accrocher en suivant les mouvements de la chef d’orchestre, qui elle a l’air de tenir la barre.

Le Jodlowski est celui qui m’a le plus plu, et les initiés diront que c’était la pièce la plus accessible des quatre. Des métaphores musicales évidentes (vrombissement du moteur d’avion des percussions, piqûres de moustiques des cordes) et salutaires après les picotements à l’âme du Ligeti…Ma conclusion : on peut faire du contempo’ et assumer que la musique, c’est avant tout la mélodie !!! (blasphème !!!)

Un finlandais qui a la modestie d’assister au concert dans la salle, même pas au premier rang, mais dont les propos dans le petit livret laissent pensifs : une telle bouillie intellectuelle va-t-elle vraiment déboucher sur une œuvre généreuse, ou au moins inspirante ? Résultat : un monologue sonore aussi abscons que le nom de son auteur, un ennui de 18 minutes, et une autre conclusion pour moi : si la musique n’est pas mélodie, il faudrait au moins qu’elle soit recherche sur les sons. Sinon, qu’est-ce qu’on cherche ? ça me fait penser aux khâgneux qui s’improvisent écrivains, et qui ont tellement étudié et analysé la prose des autres que la leur n’est que construction intellectuelle, sans aucune spontanéité ni aucun recul.

Le Grisey final est comme un clin d’œil à mes conclusions précédentes : en terme de recherche sonore, on est ici servi ! La lente montée du son, parti du silence le plus total (même les tousseurs intempestifs se sont abstenus, ouf !) s’étoffe peu à peu, au rythme ascendant et descendant des contrebassistes. Mais finalement, c’est le sentiment d’angoisse qui revient chez moi, mêlé à une extrême mélancolie.

Au moins ça ne laisse pas indifférent !

Clo, un petit conseil si tu accompagnes les parents la prochaine fois : n’oublies pas ton carnet de croquis, ça aide à se détendre de gribouiller les instrumentistes pendant le concert.


Ju

Anonyme a dit…

Le compte rendu de Juliette me parle plus que celui du c'roch'noteur, désolée !

Quant à croquer pendant un concert, la salle de la Cité de la Musique dont je me souviens (celle où on avait subi - euh pardon, écouté - Wayne Shorter et Herbie Hancock) ne s'y prête pas tellement... j'ai le lointain souvenir, en revanche, qu'au Louvre (ou était-ce à l'IRCAM ?), on a une vue bien plongeante sur les musiciens. Mais mes souvenirs sont vagues, ils remontent à quelques années !

Anonyme a dit…

Bon d'accord clo on va t'emmener au pestacle toi aussi!!

Anonyme a dit…

1- d'accord avec "les portes qui grincent "
2- Très bien, les commentaires de la belle JU.
3- Inès: le bar est ouvert en permanence à St.Eloi !
Ton commentaire me semble être une échappatoire...
4- Pour moi, la musique est peut-être une mélodie, mais d'abord un rythme.
Les tambours, seuls me suffisent et vive le zapateado !
Les tambours et la mélodie de Barry Lindon, un régal !

roch a dit…

Je suis comblé de commentaires, merci !

=> Clo : as-tu cliqué sur le lien de "ensemble intercontemporain" ? il n'y a pas que des portes qui grincent !
A ce propos il faut préciser d'où vient le mythe de la porte qui grince : il y a quelques années, alors que nous étions comme souvent 6 dans la voiture, l'autoradio diffusait "variation pour une porte et un soupir" de Pierre Henry, premier et malheureux contact de nos enfants avec la musique contemporaine (ils auraient pu tomber sur bien plus intéressant que cette musique "concrète" si datée !) : cette porte est restée symbolique !
Je vais revoir notre programme de l'année et te proposer (si tu veux) un concert pas trop difficile (si je trouve !)

=> Ju, merci pour ton compte rendu vraiment super : la musique peut faire naître des sentiments très contradictoires et elle est faite pour ça. Si Grisey a fait naître chez toi l'angoisse et la mélancolie alors que chez moi c'était plutôt sérénité et bonheur, c'est que tu l'as profondément ressentie et pas seulement superficiellement entendue : continue, tu es sur la bonne voie !

=> GdPa : pour ceux qui n'ont pas vu Barry Lyndon, la bande originale est le deuxième mouvement du trio op 100 de Schubert : les deux autres mouvements sont tout aussi beaux !
Quant à mélodie, rythme etc, je prépare une note (non, deux !) sur le sujet !!!

=> Inès : décidément tu ne penses qu'à ça : donc vivement demain soir pour concrétiser !!!

Anonyme a dit…

tu pourras te recycler dns la critiqe de la musique contemporaine, il me semble que Juliette est bien douée aussi, mais comme elle j'ai besoin de mélodie. C'est moi "maman", Cath

Anonyme a dit…

Je découvre avec admiration la lecture à un 2ème niveau par les liens proposés. Je constate que Grisey à séjourné à Rome et y a decouvert-cotoyé Chelsi ce qui ne surprned pas vu la parenté musicale .
Bravo Roch.

Anonyme a dit…

Ça y'est, je suis allée voir le lien vers l'EIC… très chouette site !