33 : de venise à budapest

Ce jeudi là (24 mai), nous fendions à contre-courant la marée orange des bayrouistes se rendant au zénith écouter leur héros : notre direction était, une fois n'est pas coutume la cité de Portzamparc ...

Le concert commence par "Delights", création d'un encore jeune suisse, Xavier Dayer.
La Suisse a donné naissance à plusieurs compositeurs intéressants au XX°s : en particulier Ernst Bloch, Arthur Honneger, Frank Martin, et plus récemment, Klaus Huber, et Michael Jarrel qui est un esthète helvète qui met la fête dans ma tête.
Le plateau réunit les excellents chanteurs du groupe "Les Jeunes Solistes" de Rachid Safir et l'inusable ensemble inter-contemporain (dir.: Suzanna Mälkki), avec accompagnement électronique.
Les textes chantés sont pour la plupart des lettres écrites en français par une religieuse portugaise du XVII°s : elle évoque ses premiers émois érotiques qui ne semblent pas lui avoir laissé de mauvais souvenirs ...
L'effectif instrumental est réduit et, encore une fois, je me demande ce qu'apporte l'électronique : il me semble que cette pièce gagnerait en intensité et en pureté de timbre à être débarrassée de ce fond sonore. Si les fraises sont mauvaises, d'accord pour la crême et le sucre, ... mais si elles sont bonnes ?
Et cette œuvre-là est excellente : belle composition orchestrale avec des instants de silence suspendu particulièrement recherchés, chant bien travaillé par un chœur impeccable même si l'écriture n'en est pas très originale (on pense à Dusapin bien que ce dernier utilise rarement le français). Un peu "scolaire" peut-être si on veut vraiment chicaner mais Dayer n'a que 35 ans et mérite qu'on s'y intéresse.

La pièce suivante est d'Ivan Fedele, compositeur italien né en 1953, l'un des meilleurs de sa génération.
"Richiamo", créé en 1994 est écrit pour un ensemble d'une dizaine de cuivres accompagné de deux percussionnistes et ... d'électronique.
Mais ici l'électronique est parfaite car elle met remarquablement en valeur la somptueuse sonorité des instruments à vents et des percussions exclusivement métalliques. Une grande beauté du son et on croit presque sentir les effluves d'encens qui envahissaient St Marc de Venise à la fin du XVI°s quand les Gabrielli y faisaient résonner leurs fabuleux ensembles de cuivres !
Fedele n'est pas italien pour rien et fait expressement référence à ces grands ancêtres dans cette œuvre magnifique.


Pendant l'entracte, au dessous de nous, la flûtiste Emmanuelle Ophele conversait avec Boulez qu'elle dévorait amoureusement des yeux ...

Etait donné ensuite "Messages de feu demoiselle Troussova" de György Kürtag pour soprano et ensemble, écrit sur des poèmes russes de Rimma Dalos.
Kürtag, né en 1926, est un de ces hongrois qui, ces deux derniers siècles, ont été des étoiles de la musique occidentale.
Cette œuvre est un véritable condensé de tout ce qu'ont produit les compositeurs d'Europe Centrale depuis un siècle et on retrouve les techniques de chant de Schönberg, la rythmique de Bartòk, le burlesque de Stravinski, et même le populaire de Kurt Weill. Mais ce n'est ni du plagiat ni du collage, car ressort une des qualités de Kürtag : la subtilité des timbres instrumentaux, avec une mention particulière pour le célesta et le cymbalum si caractéristiques des musiques de cette région.
Cette pièce est découpée en de nombreux fragments courts voire très courts et la soprano est d'une telle expressivité qu'il n'est pas besoin de connaître le russe pour être saisi par ce chant et cette musique (on regrette quand même l'absence de surtitrages, mais on n'est pas à l'opéra). La chanteuse allemande, Julia Henning, est plus que convaincante, et sa voix n'a même pas eu besoin de se chauffer pour donner d'emblée le meilleur, ce qui n'est pas très courant. Personne ne s'y est trompé et les applaudissements ont été des plus enthousiastes !

Programmation soignée, variée et originale : un très beau concert.

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